L'Agilité en entreprise - 2. Pourquoi Scrum échoue (et comment y remédier)

Scrum est souvent perçu comme le cadre évident pour structurer et dynamiser le développement d’un produit, particulièrement numérique. Pourtant, son adoption ne garantit pas systématiquement le succès. Mais que permet réellement Scrum ? Plus important encore, quelles sont les conditions nécessaires à son efficacité et surtout les écueils à éviter pour en faire un véritable atout ?
Cet article est le deuxième d'une série dédiée à l'Agilité en entreprise. Après avoir découvert le culte du Cargo dans un précédent article, découvrons la recette idéale pour faire fonctionner le framework Scrum et éviter les principaux obstacles.
Imaginez une équipe de développeurs qui se voit imposer l'adoption de Scrum par son organisation, dans l'espoir de résoudre des problèmes persistants tels que des délais serrés, des priorités en constante évolution et une communication défaillante. Plutôt que de naître d'une démarche collective, cette transformation est souvent décidée loin du terrain ou appliquée par défaut, sans que tous les acteurs ne comprennent pleinement les enjeux.
Ainsi, malgré l’utilisation d'un tableau Kanban, l'organisation de réunions quotidiennes et la mise en place de sprints, les résultats attendus ne se concrétisent pas toujours et les difficultés persistent. Alors que s'est-il réellement passé ? Comment un framework aussi populaire et reconnu que Scrum peut-il ne pas apporter les solutions espérées ? Tout d’abord, il est important de rappeler ce qu’est Scrum, afin de mieux comprendre son utilité et sa philosophie. Ensuite, il sera question d’identifier les conditions nécessaires pour que Scrum devienne un véritable cadre d’adaptation, capable de soutenir un projet dans un environnement mouvant tout en optimisant la création de valeur. Enfin, seront abordés les problèmes les plus fréquemment rencontrés lors de sa mise en œuvre, ainsi que les risques liés à une application partielle ou mal comprise du framework.
Scrum, c’est quoi ?
Première idée reçue à oublier : Scrum n'est pas une méthode figée à suivre à la lettre comme une recette. C'est un framework (littéralement “cadre de travail”), un ensemble de principes et d'outils flexibles qui permet à une équipe de s'organiser et de s'adapter en fonction des besoins du projet. Imaginez un chef qui, plutôt que de suivre une recette rigide, dispose d'une panoplie d'ingrédients et de techniques et qui ajuste ses préparations en fonction des produits disponibles et des goûts des convives. De la même manière, Scrum offre une structure souple qui encourage l'adaptation, l'innovation et la création de valeur, sans imposer un mode opératoire unique. Vous avez les ingrédients, vous avez les grandes étapes, cuisinez comme vous le souhaitez !easy to understand, difficult to masterNé dans les années 1990, Scrum est un framework conçu pour aider les équipes à gérer des projets complexes, où les besoins peuvent changer rapidement. Son principe de base est de diviser le travail en petites étapes, des itérations, appelées "sprints", chacune aboutissant à une version de produit fonctionnel, un incrément, prêt à être utilisé ou évalué.
L'idée derrière Scrum est de permettre à l'équipe de s'ajuster rapidement aux changements et de favoriser une collaboration étroite. Tout cela dans le but de générer de la valeur à chaque itération. Pour cela, il s'appuie sur trois piliers : Transparence, Inspection, et Adaptation. Chaque élément de Scrum, des rôles aux réunions, est conçu pour soutenir ces principes. Toutes ces pratiques et principes y sont décrites dans le Scrum Guide, un document officiel (accessible et gratuit !) de 15 pages pour sa dernière version (novembre 2020).
Scrum : Les principes Agiles au cœur du framework
Pour vraiment comprendre comment Scrum soutient les principes de l'Agilité [lien vers article 1], imaginons une équipe qui doit développer une application mobile complexe.Voici comment Scrum traduit ces principes dans la pratique :
1. Livrer de la valeur en continu : L'équipe divise ici son travail en sprints allant d’une à quatre semaines. À la fin de chaque sprint, elle livre une (ou plusieurs) nouvelle(s) fonctionnalité(s) de l'application. Cela permet non seulement de montrer des résultats concrets rapidement, mais aussi de recueillir des retours utilisateurs au fur et à mesure et d'ajuster le tir si nécessaire.
2. Collaboration et communication : Chaque matin, l'équipe se réunit pour un Daily Meeting. Cette réunion rapide de 15 minutes maximum permet à chacun d’exposer l’avancement de ses travaux, d'identifier les obstacles et de s'assurer que tout le monde est sur la même longueur d'onde pour atteindre l’objectif du Sprint en cours.
Le Scrum Master joue le rôle de coach Agile à l’échelle du projet et veille à ce que la communication soit fluide et que les problèmes soient rapidement résolus.
3. Adaptabilité et flexibilité : À la fin de chaque sprint, l'équipe organise une revue de sprint pour présenter le travail accompli aux parties prenantes. Ces revues ne sont pas seulement l'occasion de démontrer les progrès réalisés mais aussi de recevoir des feedbacks immédiats. Ces retours sont ensuite utilisés pour réajuster les priorités et affiner le backlog du produit, la liste priorisée regroupant toutes les fonctionnalités, les améliorations et les corrections envisagées pour le produit. Elle est la garantie que le développement reste aligné sur les besoins réels des utilisateurs et des clients.Suite à la revue de Sprint, l'équipe se réunit pour une rétrospective où elle évalue les pratiques internes. Cette réunion est l'occasion de faire le point sur ce qui a bien fonctionné et ce qui pourrait être amélioré. Si une méthode ou un outil n’a pas été efficace, ils ajustent leur approche pour le prochain sprint.
Les risques d'une pratique mal adaptée de Scrum
Cependant, il ne suffit pas de “faire du Scrum” (ou être en “mode Agile”, qui veut tout et surtout rien dire) pour que cela fonctionne. Certaines équipes tombent dans des pièges qui freinent leur progression. Revenons à notre équipe qui a du mal à tirer le meilleur parti de Scrum.
1. L’obsession pour la vélocité : Certaines équipes, certains clients ou responsables ont tendance à devenir obnubilées par la mesure de leur vélocité, c'est-à-dire la quantité de travail qu'elles accomplissent au cours d'un sprint. Elles se concentrent alors uniquement sur l'augmentation de ce chiffre, au détriment de la qualité ou de la véritable valeur ajoutée du produit. Cette focalisation excessive peut conduire à la précipitation dans la réalisation des tâches, à la négligence des tests ou à la minimisation des feedbacks des utilisateurs. L'important n'est pas tant le nombre de Story Points réalisés, mais bien d'atteindre les objectifs définis pour ainsi livrer un incrément qui apporte une réelle valeur aux utilisateurs finaux.
2. Un focus sur les rituels, pas sur les résultats : L’équipe peut tomber dans le piège de suivre Scrum comme un manuel de cuisine, en se concentrant uniquement sur les rituels (réunions, sprints, tableaux) sans comprendre leur but. Ces pratiques doivent toujours être alignées sur l'objectif final : livrer de la valeur aux utilisateurs. Il n’est pas rare d’entendre des développeurs reprocher à Scrum une trop grande quantité de réunions, qui peuvent sembler dispensables ou redondantes si celles-ci sont suivies sans que leur objectif soit compris de tous. Si des cérémonies ne sont pas ou peu efficaces ou pertinentes pour l’ensemble de l’équipe, il peut être intéressant d’en discuter avec le Scrum Master mais surtout de le remonter lors de la rétrospective afin de traiter ce point collectivement !
3. Un Product Owner absent : Le Product Owner joue un rôle clé en définissant les priorités et en s'assurant que l'équipe comprenne et travaille sur les bonnes tâches. S'il n'est pas assez impliqué, l'équipe risque de s'égarer, de travailler sur des fonctionnalités peu prioritaires ou mal définies.
4. Un Scrum Master trop autoritaire : Le Scrum Master doit être un facilitateur, pas un manager autoritaire, ni un chef de projet ! Si l'équipe le perçoit comme un chef qui dicte les règles, cela peut brider sa créativité et son autonomie, deux aspects essentiels de l'Agilité.5. Scrum n'est pas toujours le bon choix ! Scrum est un framework pertinent pour le développement de solutions complexes, mais il n’est pas forcément adapté à tous les types de projets ou contextes. Par exemple, Scrum peut s’avérer trop complexe et structurant pour des projets de maintenance corrective ou évolutive légère, où les besoins sont ponctuels, planifiables à l'avance et où l'effort de coordination quotidien imposé par Scrum n'apporte pas de valeur significative. De même, pour des équipes très petites ou des projets extrêmement simples, la mise en place de Scrum peut ajouter une lourdeur qui n’apporte pas de réelle valeur. Avant d’adopter Scrum, il est essentiel de s’assurer que le projet bénéficie réellement d’une approche itérative et incrémentale et que tous les membres de l’équipe et l’organisation sont prêts à s’engager pleinement dans leurs rôles et leurs responsabilités.
La clé : L'implication collective dans l'adoption Agile
Pour que Scrum soit réellement efficace, il est indispensable que chaque membre de l'équipe comprenne et s'implique dans la philosophie Agile. La réussite du framework ne repose pas uniquement sur la mise en place d'outils et de rituels mais sur l'engagement de tous dans la collaboration, la transparence et l'amélioration continue.
Un projet utilisant Scrum peut rencontrer des difficultés si les membres de l'équipe ne partagent pas cette vision ou ne sont pas préparés à l'adopter. Ce constat n'indique pas forcément un problème individuel, mais peut refléter un besoin accru de formation et d'accompagnement en amont. Une solide pédagogie est essentielle pour que chacun devienne acteur et moteur du produit et du processus Scrum.
Même si certaines personnes sont d'abord réticentes à adopter la culture Agile et Scrum, cela ne doit pas remettre en cause cette approche. Avec des efforts soutenus, une formation continue et en démontrant par l'exemple, il est souvent possible de faire évoluer progressivement les mentalités, même chez les plus réservés. Toutefois, il convient de mesurer attentivement le temps et les ressources investis dans cette démarche. Si malgré un accompagnement approprié, l'engagement nécessaire ne se concrétise pas au sein de l'équipe, il faudra alors envisager des alternatives mieux adaptées aux spécificités du projet et son contexte pour continuer à avancer efficacement.
En conclusion : Utiliser Scrum avec conscience
Scrum est un outil conçu pour naviguer dans la complexité des projets modernes, mais il n'est pas une solution universelle. Avant de l'adopter, il est crucial d'évaluer si votre projet et votre contexte bénéficient réellement d'une approche itérative et incrémentale. Scrum est particulièrement efficace dans des environnements où les exigences peuvent évoluer rapidement et où la collaboration et l'adaptabilité sont essentielles. Cependant, pour des projets plus simples ou des contextes stables, d'autres approches pourraient être plus appropriées.
Même lorsque Scrum est approprié à votre projet, il ne suffit pas de suivre les instructions à la lettre. Il faut comprendre les principes qui sous-tendent chaque pratique et être prêt à adapter le framework aux besoins spécifiques de l'équipe. De plus, Scrum ne doit pas seulement être accepté par l'équipe elle-même. Les parties prenantes et les décisionnaires doivent également comprendre son fonctionnement et ses objectifs. Bien qu'ils n'aient pas à l'adopter dans leurs processus quotidiens, il est essentiel qu'ils saisissent la logique et soutiennent l'équipe dans la mise en œuvre.
En anticipant et en prévenant les risques d'une mise en œuvre superficielle, en assurant une implication active de tous les rôles clés et en maintenant un focus sur la valeur délivrée, Scrum peut transformer la manière dont votre équipe travaille et favoriser la création d'un produit véritablement pertinent pour vos utilisateurs.